Vous êtes trop modeste. Vous n'avez pas compris que vous possédez un certain "quelque chose" qui n'appartient qu'à vous et qui émane de toute votre personne. A votre corps défendant, bien sûr.
On vous voit et c'est fait. Vous n'avez rien voulu, rien demandé, rien provoqué, et vous voilà d'entrée de jeu promue conseillère intime, confidente d'un instant ou guide pour la vie, gourou, psy de fortune. Ou plutôt d'infortune.
Les histoires que l'on vous raconte sont rarement désopilantes et vous, à la différence du thérapeute professionnel, personne ne songe un instant à vous payer!
Encombrant, votre don. De plus, comme vous êtes une personne sensée (dame, c'est pour cela qu'on vous consulte !), vous finissez par vous demander - vous qui n'auriez jamais l'idée de consulter une tierce personne pour régler vos problèmes personnels - si l'on peut jamais, en réalité, être vraiment de bon conseil pour qui que ce soit.
Il apparaît bien, en effet, selon toutes observations mille et mille fois vérifiées, que se mettre "à la place des autres" équivaut à une aimable utopie ou à une tarte à la crème. Pourtant c'est ce que l'on semble bien souvent vous demander...
Merci, merci beaucoup, n'en jetez plus, la cour est pleine. " Mais quand, gémit Monique, 33 ans, l'âge du Christ d'accord, mais c'est quand même pas une raison, quand me fichera t-on la paix ? J'en ai assez, au boulot, dans ma famille, avec les copains et les copines, de tenir le bureau des pleurs...
C'est aussi décevant de dire aux gens "faites ci ou faites ça" que de leur indiquer leur route. La plupart du temps, ils font exactement le contraire. C'est pourquoi moi, en fait, je ne donne jamais le moindre conseil à qui que ce soit. Mais j'écoute. Ça, ça me passionne. Et je pose aussi plein de questions parce que j'aime savoir comment les gens fonctionnent dans leur tête... "
Interroger. C'était le grand truc de Socrate. Vous savez, ce type grec d'il y a deux mille ans et des poussières qui courait les gymnases et les boutiques pour questionner, sans relâche, à la manière d'un "taon", comme il disait lui-même.
Ainsi, il obligeait ses interlocuteurs à remettre en question leurs idées reçues, à découvrir de vrais concepts, à analyser sans complaisance avec un risque d'erreurs minimum une idée, une manière de voir la vie, une façon de vivre ses actes et sa relation aux autres.
Vous savez écouter ? Vous savez interroger ? Vous êtes comme Socrate. Mais vous, vous ne prenez aucun plaisir à courir après la clientèle. Car il se trouve que vous n'aimeriez pas finir comme lui, c'est-à-dire condamnée par le "tribunal démocratique" des copines, belle-sœur, frères, collègues et autres voisins de palier que vous avez si souvent secourus.
Et le coup
du bol de ciguë, on vous l'a déjà fait ? Vous en avez encore dans la
bouche, au fond du palais et derrière la luette, le goût tristement amer.
En effet,
souvent, les gens ne pardonnent pas à ceux qui ont été les témoins de
leurs faiblesses, de leurs doutes, de leurs incertitudes, de savoir...
tout ce qu'ils savent.
Un des
paradoxes de l'ouverture aux autres, et non des moindres, est que plus on
accorde son écoute, plus on risque de faire le vide autour de soi...
"Par
exemple, dit Juliette, 26 ans, étudiante, j'ai été liée avec une ancienne
copine de classe retrouvée sur les bancs de la fac. Je peux dire que jour
après jour j'ai tout entendu, par le menu détail, de ses déboires
sentimentaux, de ses aventures sexuelles... Cette fille m'appelait à
n'importe quelle heure, même de la nuit, chez mes parents. Elle m'a pris
du temps, de l'énergie, mais je pensais "l'amitié, c'est ça". Quelle
gourde j'ai fait... Depuis qu'elle s'est mariée, il y a deux ans, elle m'a
tourné le dos. Comme si elle avait peur de moi à cause de ce que je sais
d'elle. J'en ai eu tellement de chagrin que je me suis juré de ne plus
jamais m'impliquer comme ça dans la vie des autres. L'ennui, c'est que la
plupart du temps, les confidences viennent à moi sans que je ne demande
rien..."