Je
connais une femme tellement ordonnée que ses placards ressemblent à des
chemises de bagnards : chaque tee-shirt, chaque pull-over, plié avec
soin, se réduit à une simple rayure parmi d'autres identiques qui donnent
aux piles de vêtements l'allure d'un dessin raide sur fond d'étagère
immaculée.
Une
place pour chaque chose, chaque chose à sa place, c'est glaçant un
univers sans fantaisie. On a l'impression que la pensée, les gestes
doivent s'organiser avec autant de rigueur, qu'un bruit incongru ou un
éclat de rire équivaudrait à un sacrilège. Mais cette femme, elle, est
contente. Satisfaite !
A l'inverse, au chapitre des souillons,
des brouillons pathologiques se complaisent dans le chaos.
Chez Lili, les jeans gisent sur le carrelage dans un naufrage de baskets douteuses, de chaussettes moribondes.
L'évier déborde de vaisselle propre et sale, un rideau sur deux est encore accroché à la tringle, la table de chevet vaut un stand des puces.
Pour s'asseoir sur une chaise, il faut poser par terre des piles de journaux; les cendriers débordent, un trognon de pomme attend la fin du monde, embusqué sur le téléviseur.
Sensation d'étouffement, comme si l'on se retrouvait dans les décombres d'une civilisation balayée par un cataclysme.
Qui peut vivre là-dedans? Elle, sur la pointe des pieds, pareille à une équilibriste rassurée par cette foule d'objets qui l’entoure comme autant de sentinelles.
Entre ces deux visions extrêmes, mais pas si rares, il y a les autres, vous, moi, plus ou moins nickel, qui tentons de concilier le métro, le boulot et la maison idéale.
Sylvie habite un studio minuscule. "Le moindre torchon de travers se remarque comme un bouton sur le nez. Dans un petit espace, il faut tout rentrer dans les tiroirs, les placards, sinon le décor tourne au champ de bataille. Un soutien-gorge qui traîne dans une chambre de 50 m2 c'est à peine une ombre blanche. Dans 15, c'est un meuble en trop! ".
Elle range, sans enthousiasme. Mais comme elle est plutôt fantasque, sa poésie s'exprime dans sa boite à ouvrage. Les fils s'y emmêlent dans un joyeux embrouillamini coloré, les aiguilles se baladent partout, les épingles prennent le maquis.
De temps à autre, elle contemple ce désastre, soupire: "Je devrais m'en occuper... " Elle ne le fera jamais. Son appartement exigu lui impose une loi stricte, sa seule liberté, entre ces murs qui la contraignent, elle la délègue à ses bobines.
Gabrielle a, la chance d'avoir plus de place. Elle aime les décors sobres et nets, ni luxueux, ni bon marché. Hormis quelques revues au coin d'un immense canapé, rien ne dépasse.
Chaque meuble trône dans sa beauté, mais le choix des couleurs tendres, la lumière douce, quelques pivoines qui s'abandonnent au coin d'un guéridon, donnent envie de se détendre, de faire silence et de se laisser envahir par la paix des lieux,
Si vous avez le malheur d'ouvrir le placard de l'entrée, jetez-vous en arrière ou vous allez prendre sur la tête le fer à repasser, deux paires d'escarpins, quinze cintres, etc. "J'arrive à tout organiser comme j'en ai envie, sauf ce fichu placard. Il m'échappe. Tous les deux mois, je me dis que c'est une honte, je le vide, je le nettoie, je plie, j'empile, pour toujours. Et une semaine plus tard, il est redevenu sauvage.
Alors tant pis, je me résigne, jusqu'à la prochaine crise."