Au retour des vacances de Noël, Arnaud, 16 ans, dont c'est seulement le
deuxième séjour aux sports d'hiver, raconte ses exploits. La Saulire, à
Courchevel (piste «noire» pour skieurs confirmés), les randonnées
hors‑piste, et devant ses camarades un tantinet incrédules, il en rajoute:
en fin de séjour, les Trois Vallées, Courchevel, Méribel, Les Menuires;
avec force détails pour « faire plus vrai », détails glanés au cours des
veillées d'après‑ski au chalet. Finalement, beau succès auprès de
l'ensemble de la classe de seconde B, et bronzage aidant, prestige accru
auprès de Delphine, sa voisine de pupitre qui, depuis, voit en lui une
espèce de « Rambo de la glisse ».
On peut raisonnablement penser qu'Arnaud ne s'arrêtera pas là et qu'il
continuera, bien après l'adolescence, à travestir un peu la réalité pour
séduire ses partenaires. Comme bon nombre d'entre nous, comme presque tous
les humains, comme tous les êtres doués de parole, donc aptes au mensonge.
Comme Sophie, hôtesse dans une grande compagnie aérienne, qui avoue ne pas
hésiter à « inventer des trucs pas possibles » pour appâter un monsieur. «
Je dis souvent que je suis copilote, je n'ose pas dire commandant de bord,
il y a encore trop peu de femmes dans ce métier, et j'invente des
incidents de vol tous plus fous les uns que les autres, des atterrissages
en catastrophe, dont on ne parle jamais, bien sûr, pour ne pas effrayer
les passagers. Ou bien je raconte que je travaille pour une compagnie
privée, en Afrique (invérifiable) et là, je m'en donne à coeur‑joie: les
pannes de moteur en plein désert, les décollages à la verticale avec une
horde de sauvages accrochés au train. Plus c'est dément, et plus le type,
en face, y croit.
L'amazone, la fille intrépide qui n'a peur de rien, ça les épate, ils sont
subjugués. » Il y a chez Sophie une telle jubilation dans le mensonge
(comme un résidu d'enfance) qu'elle « tombe » tous ceux sur qui elle
exerce son «pouvoir»: amoureux éventuels, ami(e)s, enfants qui entrent
dans le jeu tout de suite. Une vraie séductrice.
Mentir pour séduire, mentir pour garder aussi. « Lorsque je sens que mon
fiancé, qui habite dans le Midi, s'éloigne de moi, raconte Lise,
j'organise ma disparition. Je ne donne plus de nouvelles, je filtre les
communications téléphoniques grâce au répondeur et je fais dire par la
bande que, personne ne m'a plus vue depuis longtemps. Ou bien j'annonce
mon mariage avec un ami d'enfance, ou plutôt je le fais annoncer par
d’autres. Ça revient toujours aux oreilles de Mathieu qui saute dans un
train et arrive illico. Cours après moi que je t'attrape, ça marche.
Enfin, ça a déjà marché trois fois », précise Lise qui doute que le
stratagème puisse continuer à fonctionner indéfiniment et qui est en train
de mettre sur pied un nouveau scénario à base de maladie grave.