Une froideur travaillée" ,
Bruno, 30 ans, graphiste
"Je suis un faux calme. je me domine en permanence car, en fait, je suis
excessif, coléreux, brutal. Ça m'a joué des tours. J'ai été viré pour ça,
j'ai envoyé des gens à l'hôpital. Maintenant, je suis capable de prendre
mon manteau et de sortir avant que ça dégénère. Sauf si on humilie
quelqu'un que j'aime. Avec les femmes, l'agressivité reste verbale
maisc'est plus méchant, parce que ça explose à contretemps.
Pourtant ça m'arrive de pleurer, et même à gros bouillons, de préférence
sur des nanars reliés à des souvenirs.... Si tu es trop sensible, tu es
une chochotte. Macho, une brute préhistorique. C'est difficile de se
positionner."
"La réalité est frustrante ...,
Benoît, 30 ans, chef de produit dans l'industrie agroalimentaire
"je peux me fermer comme une huître, encaisser pour mieux préparer la
riposte ou ma défense. je ne hausse jamais le ton à la maison. Parfois
c'est calculé, pour calmer le jeu. Parfois c'est par faiblesse : je
m'écrase. Mes joies sont elles aussi mesurées. La réalité est souvent
frustrante, par rapport à ce que j'anticipe. Le jour de mon mariage, je
n'ai pas pleuré comme une madeleine. J'étais moins ému que prévu. A la
naissance de mon fils, j'ai un peu dansé dans la maternité, chanté devant
la couveuse mais je n'ai pas explosé de bonheur. J'encaisse mieux les
grands chocs que les micro‑stress. La moindre remarque au boulot me rend
vite parano. En cas de petit conflit, ma femme est au courant dans la
demi‑heure. J'ai besoin qu'on s'intéresse à moi. Quand on se dispute, je
m'assieds dans un coin, et je joue le petit garçon blessé. J'attends que
"maman", culpabilisée, vienne me consoler,"
Pas d'états d'âme,
Bemard, 35 ans, capitaine
"Mes joies et mes peines ne regardent pas tout le monde. Quand Arthur est
né, il y a une semaine, j'ai annoncé sobrement au bureau : "J'ai un
garçon, je suis content." Mais si je n'avais pas été à Paris, j'aurais été
crié ma joie seul dans la forêt. Quand mon père est mort, je n'ai pas
pleuré mais j'avais de la peine. Ne pas exprimer mes émotions, c'est une
question de tempérament, d'éducation. J'ai été élevé chez les Jésuites.
Devise : "Jamais froid, jamais faim, jamais sommeil". Je veux rester
gouverné par ma raison. A l'armée, non seulement montrer ses sentiments ne
se fait pas, mais en plus, dans des situations extrêmes, ça peut être
dangereux. Rester de marbre peut aussi déstabiliser l'autre. C'est un
petit jeu que j'aime bien".
Une seconde d'éternité
,
Josua,
21ans, musicien
"Essaie de sourire dans la rue ou dans le métro. On te prend pour un fou,
un irresponsable, l'idiot du village. On peut me blesser facilement,
surtout si c'est gratuit. Quand je suis hors de moi, je me défoule en
tapant sur le placard. Mais après, je tue l'autre en rêve. Mon fantasme :
être un tigre et lui déchiqueter la gorge. Mais il m'arrive d'avoir le
souffle coupé par le regard d'une fille assise en terrasse. Tout un
univers de possibilités s'ouvre : j'aime quelqu'un pendant une seconde
d'éternité."
Une scène, j'enfile mes baskets,
Alain, 47 ans, cadre à la Poste
"Le sujet de scène classique avec ma femme : les enfants. je suis beaucoup
plus indulgent qu'elle. Le refrain, quand ça dégénère : "Parle, dis
quelque chose..." Je ne comprends pas toujours ce genre d'exigence. Moi
aussi j'ai l'impression de parler à un mur puisque je me suis déjà
expliqué. Poussé à bout, je me contrôle si les enfants sont là. Sinon,
j'enfile mes baskets et je vais courir. C'est une façon de prendre la
fuite. Parfois, je ne comprends pas pourquoi je ne me sens pas dans mon
assiette. L'inconscient bloque: je refuse de savoir que je suis en conflit
au bureau, puis je rumine. je ne me livre vraiment que dans mes jardins
secrets : la poésie, la peinture..."