Eléonore, 30 ans
Je m'acharne à me lever du pied droit depuis toujours, c'est tout de même plus sûr. Et pour me donner encore plus de chances de réussir ma journée, en allant au bureau, je marche exclusivement sur le bord des trottoirs, en ne posant jamais le pied sur un trait de séparation entre deux blocs de granit. Pendant longtemps, j'ai pensé que c'était interdit sous peine de mort. Certes, j'ai constaté que quand je me trompe, il ne se passe rien de tragique. N'empêche, si ça arrive, je jure mentalement de ne plus recommencer, sauf cas de force majeure. On ne sait jamais...
Emile, 33 ans
C'est une superstition de mon pays, le Bénin : quand on vous demande "passe-moi le piment" pendant un repas, il ne faut surtout pas se le donner de la main à la main, mais le poser sur la table, pour que votre voisin le prenne lui-même. Si vous le tendez directement, le repas sera forcément gâché par une dispute.
Aline, 28 ans
Quand je suis au bureau, je m'oblige à ne pas décrocher le téléphone avant la deuxième sonnerie. Je crois que c'est pour me préparer au pire. Le boss peut vous demander n'importe quoi, on ne sait jamais.
Frédérique, 37 ans
Moi, je ne décroche jamais avant la fin de la quatrième sonnerie. Sinon, j'ai remarqué, c'est toujours une mauvaise nouvelle.
Jacques, 27 ans
Depuis que j'ai 14 ans, je sais qu'il ne faut jamais allumer trois cigarettes avec la même allumette. On dit que ça remonte à la Seconde Guerre mondiale. Dans tes tranchées, quand l'ennemi voyait briller une flamme en face, à la première cigarette qui s'allumait, il pointait, à ta seconde il visait, à la troisième il tirait. Et c'était souvent le plus jeune qui y passait, vu que c'était celui dont on allumait ta cigarette en dernier. Comme je suis le benjamin de la famille, cette histoire m'a marqué. Je fais attention.
Nathalie, 35 ans
Garder des traces et des témoignages, c'est bénéfique. Chez moi, j'ai un pain qui m'a été offert en Grèce, des bouquets que j'ai fait sécher, des cadeaux dont j'aime les donateurs. Je suis sûre que la bonne influence reste attachée à l'objet, et me protège. J'ai même une paire de chaussures de ma grand-mère que je n'ai pas connue. Je lui ferai construire une petite vitrine un jour ou l'autre. Je crois que les choses, les plantes, les lieux ont une âme. En revanche, je jette les cadeaux de ceux que je n'aime pas. Jeter, c'est exorciser.
Luigi, 40 ans
On m'a toujours dit : les bonnes soeurs, ça porte malheur. Quand j'en croise une dans la rue, il faut tout de suite que je touche quelqu'un, pour transférer le risque sur lui. Et si j'entends parler maladie, deuil, chômage, accident, immédiatement, pour ne pas que ce genre de tuile m'arrive, je fais les cornes dans mon dos, discrètement. Encore moins avouable (et nettement moins discret), j'ai la manie typique du mâle italien -comme dit ma mère- qui consiste à se gratter les c... avec la main gauche pour chasser le mauvais oeil.
Anne 24 ans
Quand je fais mon lit, il faut absolument que le drap-housse soit lisse comme une patinoire. J'ai l'impression qu'ainsi il se purifie de tous les mauvais esprits de la nuit. J'ai aussi un truc, pour les jours où je rentre du lavomatic avec mes draps propres, et que le drap de dessous fait gondoler le matelas en tirant sur les coins avec ses élastiques. Je m'allonge dessus et je crie des jurons conjuratoires jusqu'à ce qu'il s'aplatisse. Ça marche très bien, d'ailleurs.